• Quand R. est là, sa présence l’énerve. En surface. Pourtant quelque chose en elle, plus enfoui, s’apaise également. Ce sentiment contradictoire et qu’elle ne peut expliquer la met mal à l’aise.

     

    2h du matin, Sonia peine à s’endormir, il ne lui reste plus que cinq heures de sommeil maintenant avant de se lever. La sonnerie des sms de son portable retentit. Sonia lit « Dors maintenant…Que Morphée descende un peu ses…caresses ».

    Morphée descend sa main à l’intérieur des cuisses de Sonia rageusement serrées. Il saisit l’arrière d’un de ses genoux et lui replie la jambe vers l’extérieur. Le mouvement suit, Sonia écarte une cuisse. Morphée s’empare d’un lien de coton tressé. Il noue sa jambe repliée, le tibia sous la cuisse. Il s’applique à un jeu de nœuds savants, esthétiques. Il prend son temps. Sa respiration est lente, ses gestes précis. La respiration de Sonia s’accélère lorsqu’il lui attache le poignet sur la cuisse. Le côté gauche du corps de Sonia est immobilisé par les liens. Morphée se lève et la regarde. Il se penche sur elle, écarte cliniquement ses lèvres. Il observe.

    Sur la commode recouverte d’un marbre brut, Morphée retire d’un bougeoir la bougie de cire et l’allume.

     

    Un dimanche entier ensemble. Sonia s’est faite piégée par son amie. Il fallait que R. et elle s’occupent du fils de la copine car celle-ci devait travailler. Le fils de Sonia et le petit garçon s’entendaient bien, pourquoi ne pas envisager une ballade, un déjeuner en plein air ? Sonia accepte. Après tout, ce sera le bon moment pour comprendre un peu mieux ce R. énervant. Echange de petits textos entre eux pour caler la journée. Sonia réserve un restaurant au bord d’un lac avec aire de jeux pour les enfants, R. fait le plein de la voiture, ils se retrouvent en fin de matinée.

    La voiture de collection de R. est splendide, les enfants s’exclament. Les sièges en cuir sont bas et confortables, les gadgets optionnels s’accumulent sur le tableau de bord et les sièges arrière. Les enfants sont surexcités, ils touchent à tout. R. rit. Il conduit vite, il conduit bien. Sonia regarde le paysage sans parler, Sonia se laisse guider. Une sensation qu’elle a rarement. Au lac, R. apprend aux enfants à faire des ricochets. Ou plutôt, il montre qu’il sait bien faire les ricochets, sans leur apprendre. La petite pierre plate rebondit plusieurs fois sur l’eau. Les enfants n’y parviennent pas. Sonia le trouve stupide.

    Dans la forêt, il n’apprécie pas les odeurs des pins, ne relève pas le charme des rochers que les fleurs printanières jaunes et bleues ponctuent, il reproche qu’on ne puisse faire le tour entier du lac. Le don d’émerveillement n’est pas donné à tout le monde. Il sort son téléphone de la poche de son jean et s’arrête pour montrer à Sonia les photographies de la maison qu’il restaure à la montagne. Ce n’est ni le moment, ni l’endroit. Elle est polie, elle regarde. Lui ferait-il par hasard état de ses compétences, de ses goûts et de ses richesses ? La restauration est bien faite, simple et recherchée dans les moindres détails. Sonia comprend qu’il s’agit d’un corps de bâtiments. La vanité de R. est touchante, il cherche à la séduire par ses acquis et ses exploits, du ricochet aux maisons, en passant par les voitures nombreuses qu’il lui dévoile également en photographie. « Car, pour les vaniteux, les autres hommes sont des admirateurs. » Sonia se rappelle de la seconde planète visitée par le Petit prince de Saint-Exupéry. Le vaniteux est tout seul.

    (la suite bientôt)

    aucun commentaire
  • Sonia - Armande

     

     

    « Vas vite te coucher maintenant. Que Morphée te caresse le bas du dos… Je t’embrasse, ton R. »

    Elle reçoit le sms à minuit, obéis à l’ordre affectueusement écrit.

    Elle se déshabille devant le miroir du salon faiblement éclairé. La pièce est vaste, aux murs de pierres taillées, haute d’un plafond à la française. Il y fait un peu frais malgré le mois de mai. Le vent rugit dehors, deux fenêtres vibrent. Sonia constate ce corps nu déjà un peu bronzé par les premières journées chaudes des dernières semaines, elle caresse ses seins petits et raffermis par la sensation de l’air, sa taille encore bien dessinée malgré le passage d’un enfant dans son ventre et ses quarante et quelques années. Elle se penche pour regarder son pubis. Les poils sont courts et blonds, le clitoris caché entre les lèvres. Sonia refuse de suivre cette mode des femmes épilées intégralement, dont le sexe se veut ressembler à celui d’une enfant de dix ans tandis que l’âge, dès la vingtaine, dément cette réalité.

    Sonia pense à R. Depuis des mois qu’ils se fréquentent, c’est la première fois aujourd’hui qu’ils se voyaient seuls. Un dimanche entier ensemble.

     Lorsqu’elle a rencontré R., il vivait avec un ami, elle a pensé qu’ils formaient un couple. Elle l’a tout de suite trouvé sympathique, encore une fois un type chouette était perdu pour la gente féminine se disait-elle, elle l’a taquiné, il était de bonne humeur. Ils se sont vus plusieurs fois lors de diners chez une amie. Sonia était toujours heureuse de passer quelques heures avec lui. Elle se confiait sur ses déboires amoureux post-divorce, il riait d’un rire franc, la conseillait avec perspicacité.

    Un soir, il avoua que depuis la mort de sa femme, il mangeait jusqu’à cinq gâteaux par jour. Qu’importait la qualité. Il s’arrêtait dans un supermarché, dévalisait le rayon des pâtisseries industrielles et les dévoraient dans sa voiture garée sur le parking. R. a un gros ventre. Sonia n’aime pas les gros ventres. Elle a toujours vécu avec des grands effilés plus jeunes qu’elle qui lui marquent la peau avec leurs coudes et genoux secs et qui se plaignent de leur mal de dos. Sonia apprend que R. est veuf. Mais maintenant qu’il a un amoureux, il ne devrait plus se jeter sur les friandises, non ? R. éclate de rire. Quel amoureux, de qui parle-t-elle ? Sonia comprend sa méprise. Elle se positionne soudain différemment. Elle se souvient tout ce qu’elle lui a confié. Il passe d’un coup dans la catégorie du danger potentiel, de ceux qui peuvent faire mal. Sonia s’étonne de ce constat. R. est bientôt à la retraite. R. soudain devient vieux et gros. R. la dérange.

     

    Sonia enfile une nuisette en satin gris perle, éteint la lumière du salon et descend l’escalier en pierre qui mène à sa chambre. Près du lit, le parquet grince sous ses pieds nus. La chambre est froide et humide. Les verres des grandes photographies encadrées sont recouverts d’une fine pellicule de poussière. Sonia jette un coup d’œil à la chouette sculptée à l’argile et à la cire qui surplombe le grand lit. Elle soulève la couette en soie beige ramenée de Thaïlande et se glisse sous le drap. Morphée, envoyé par R., lui caresse le bas du dos et les points de suspension invitent à la liberté du scénario. Morphée caresse la naissance de ses fesses. Il les prend bientôt à pleine mains et les pétrie fermement. Il les écarte, les resserre, les écarte encore. Il fait courir son pouce du coccyx à l’anus, laisse couler un filet de salive dans l’interstice, introduit lentement le pouce dans l’orifice, puis enfonce deux doigts d’un coup violent. Sonia se redresse, retient un gémissement de douleur. Morphée lui murmure de se détendre. Il ne lui fera mal qu’un tout petit moment. Ensuite viendra le plaisir. Pour peu qu’elle l’accepte, qu’elle cesse de se défendre. Il appuie sa main sur la nuque de Sonia, il ramène sa tête sur l’oreiller, le visage enfoui sous sa chevelure épaisse qui s’emmêle au fil de ses désirs mêlés. Morphée prend la main de Sonia le long de la hanche frémissante, entrecroise ses doigts avec les siens et lui retourne le bras dans le milieu du dos pour la maintenir fermement. Sonia sent sur son sexe une onde liquide couler le long de ses lèvres et rejoindre le clitoris. Morphée passe sa main entre ses cuisses, il cherche à les écarter, Sonia les serre aussi fort qu’elle peut.

     

    R. la dérange. Quand il est venu diner pour la première fois chez elle avec leur amie commune, Sonia avait préparé un Ceviche de thon albacore au curcuma et bioShoyu avec une salade de roquette et copeaux de parmesan frais. R. a rit en s’exclamant qu’il détestait le poisson cru. Il a relevé qu’elle avait une cheminée et que lui ne ferait plus jamais de feux, pour s’être bien trop occupé de ça dans sa vie.

    – C’est ça, quand on est vieux, il y a tant de choses qu’on a trop fait qu’on est presque blasé de tout, rétorqua Sonia.

    R. lui a sourit.

    – Ne t’inquiète pas, je mangerai les autres choses qui ont l’air délicieuses et j’ai amené d’excellentes pâtisseries puisque j’ai compris que tu étais opposée à la nourriture industrielle.

    – Alors tout va bien parce que je ne t’ai pas demandé non plus d’allumer un feu dans la cheminée.

     

    R. porte le même prénom que le père de Sonia à qui elle n’adresse plus la parole depuis dix-sept ans. R. est critique et sarcastique comme sa mère. R. correspond à cette sorte du genre humain qu’elle croit connaître parfaitement et dont elle est devenue allergique au fil du temps. Les râleurs qui savent et qui s’expriment haut et fort sur leurs goûts comme s’il s’agissait d’une réalité essentielle.

    (la suite bientôt)

    2 commentaires



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires